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LE PRINCIPE D’ÉGALITÉ ENTRE SALARIÉS NE S’APPLIQUE PAS AUX TRANSACTIONS AVEC L’EMPLOYEUR.

Dans un arrêt récent de la Cour de cassation du 12 mai 2021 (n°20-10.796), la chambre sociale a considéré que le principe d’égalité de traitement entre les salariés ne trouvait pas lieu à s’appliquer dans le cadre d’une transaction conclue entre un salarié et son employeur. Avant de s’affairer à décortiquer les tenants et les aboutissants de cette décision et à analyser ses conséquences, il convient, au préalable, de définir et d’expliciter les notions clés.

  1. Les notions clés
  1. Le principe d’égalité de traitement en droit du travail

L’égalité de traitement entre les salariés est à distinguer du principe de l’interdiction des discriminations qui lui découle notamment des articles L 1132-1 et suivants du Code du travail et interdit les différences de traitement d’un individu ou d’un groupe à raison de caractéristiques propres à ceux-ci. L’égalité de traitement est, quant à elle, issue de l’article L 1121-1 du même code qui dispose de manière plus générale que : « Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ». Si cette disposition ne fait pas expressément référence au principe d’égalité de traitement des salariés, elle permet d’introduire en droit du travail le principe fondamental d’égalité entre tous, déjà consacré par de nombreux textes à valeur constitutionnelle et de nombreuses conventions internationales. Concrètement, l’égalité de traitement en droit du travail suppose que les salariés qui sont dans des situations analogues, c’est-à-dire qu’ils ont, par exemple, le même poste, des diplômes équivalents ou encore un nombre d’années d’ancienneté similaire, ne doivent pas faire l’objet de différences de traitement par leur employeur qui ne seraient donc – pour reprendre les termes de la disposition précitée – pas justifiées ni proportionnées respectivement eu égard à la tâche réalisée et au but recherché.

      B. La transaction issue du droit des obligations

D’autre part, la transaction (acte sous seing privé) fait l’objet d’une disposition spécifique en droit des obligations. L’article 2044 du Code civil dispose en effet qu’il s’agit « d’un contrat par lequel les parties, par des concessions réciproques, terminent une contestation née, ou préviennent d’une contestation à naître ». Elle permet soit de mettre un terme à un litige en cours soit d’en éviter un à venir. La transaction relève du droit des obligations et peut être appliquée en toute autre matière comme en droit du travail.

Il y a donc lieu de s’interroger sur le point de savoir si la liberté contractuelle – qui s’attache à la transaction – doit-elle s’effacer au profit du principe d’égalité de traitement entre les salariés omniprésent en droit du travail ?

C’est, en somme, à cette question que la chambre sociale de la Cour de cassation a répondu dans son récent arrêt du 12 mai 2021 (n°20-10.796). Si le principe specialia generalibus derogant (le droit spécial déroge au droit général) est communément admis en droit, et, en l’occurrence, laisse à penser que l’égalité de traitement prévue par le droit spécial qu’est le droit du travail, devrait primer sur la liberté contractuelle issue du droit des obligations, la chambre sociale n’a cependant pas retenu ce raisonnement.

     II. La solution dégagée par la Cour en la matière

  1. La prévalence de la liberté contractuelle

La Cour de cassation a été saisie d’un litige opposant des salariées et leur employeur : celles-ci étant alors mécontentes de ne pas avoir pu bénéficier d’une transaction prévue dans le cadre d’un plan de sauvegarde de l’emploi comme certains de leurs collègues dans la même situation, elles avaient donc assigné leur employeur en paiement de dommages-intérêts pour un montant pour partie égal à celui de l’indemnité transactionnelle perçue par les autres salariés mais également au titre de l’exécution déloyale du contrat de travail. La chambre sociale les a cependant déboutées et a infirmé la décision de la cour d’appel qui avait fait droit de leurs demandes au motif que les salariées étaient dans une situation similaire à ceux ayant bénéficié de l’indemnité litigieuse et que l’absence du versement de celle-ci malgré leurs demandes en ce sens venait violer le principe d’égalité de traitement et constituait de surcroît une exécution déloyale du contrat de travail de la part de l’employeur. La chambre sociale n’a donc pas consacré ce raisonnement et répond sommairement qu’« un salarié ne peut invoquer le principe d’égalité de traitement pour revendiquer les droits et avantages d’une transaction conclue par l’employeur avec d’autres salariés pour terminer une contestation ou prévenir une contestation à naître » et qu’ainsi, l’employeur ne peut pas être condamné simplement parce qu’il n’a pas proposé de transaction aux requérantes qui en avait pourtant fait la demande quand bien même les autres bénéficiaires « se trouvaient dans une situation équivalente en terme d’ancienneté, de poste, de modification du contrat de travail pour raison économique ».

La chambre sociale fait donc primer la liberté contractuelle, le droit général des obligations sur le principe d’égalité de traitement entre les salariés et le droit spécial du travail.

Elle continue de se placer dans le sillon de sa jurisprudence antérieure en ce qu’elle avait déjà rendu une décision similaire en la matière, en refusant qu’un salarié se prévale du principe d’égalité de traitement pour « remettre en cause les droits et les avantages d’une transaction revêtue de l’autorité de la chose jugée et dont il ne conteste pas la validité » (chambre sociale, 30 novembre 2011, n°10-21.119).

      B. Une exécution du contrat de travail qui demeure loyale

De plus, la Cour de cassation écarte également l’argument tiré d’une exécution déloyale du contrat de travail. L’absence de proposition d’une transaction, à un salarié dans une situation similaire à un autre, qui en a bénéficié ne saurait donc constituer une telle exécution déloyale du contrat de travail.

L’obligation pour l’employeur (mais aussi pour le salarié) d’exécuter le contrat de travail de manière loyale se trouve codifiée à l’article L 1222-1 du Code du travail qui dispose brièvement que : « le contrat de travail est exécuté de bonne foi ».

Tout comme le principe d’égalité de traitement, cette disposition n’a donc pas sa place en matière de transaction, ce qui résulte notamment du fait que la Cour de cassation fasse, en l’occurrence, primer le droit des obligations sur le droit du travail.

Il peut donc être affirmé sans trop de réserves que, compte tenu de l’état actuel de la jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de cassation en matière de protocoles transactionnels, le principe d’égalité de traitement entre les salariés – et le principe de l’exécution loyale du contrat de travail – continueront de se heurter à celui de la liberté contractuelle et l’argument tiré de l’exécution déloyale du contrat de travail échouera.

Article co-écrit avec Monsieur Simon BEDUCHAUD (stagiaire au cabinet). Article publié initialement sur www.village-justice.com

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